Interviews croisées de Christian Nuzzo, Délégué syndical chez Geodis Road, élu au CE de Grenoble, représentant des salariés au CCE et au CE européen, et d’André Saliba, DSCN Transdev, délégué du personnel, représentant syndical FO au CE, secrétaire FO pour les transports urbains dans la région d’Avignon, membre de la Fédération Transport.

 

Parce que les routiers ont largement bloqué les routes pour manifester leur mécontentement concernant notamment la mesure de baisse des rémunérations des heures supplémentaires, le gouvernement a promis de faire passer un décret particulier pour les routiers pour maintenir les conditions de rémunération actuelles. Un décret encore attendu à ce jour…

 

Mais qui est concerné ?

Actuellement, « les conducteurs et l’ensemble des salariés de Geodis Road bénéficient d’heures supplémentaires rémunérées à 125% jusqu’à la 186è heure et 150% au-delà » explique Christian Nuzzo. « Nous avons mis en place des blocages et l’accord signé avec le gouvernement contre la réduction de rémunération des heures supplémentaires en concerne que les conducteurs et pas l’ensemble du personnel. Ainsi, par exemple, les manutentionnaires sont exclus de cet accord. Dans les entreprises, vont donc coexister différents traitements… » explique Christian Nuzzo

« Le transport de marchandises est seul concerné par l’accord spécifique. Dans le transport de personnes, nous ne sommes pas impactés par le décret qui devrait être signé » précise André Saliba.

 

Et que risquent les salariés de Geodis ?

« Notre entreprise comprend 25 sites et dans 24 d’entre eux, FO est majoritaire. Un seul site pourrait être concerné par un accord faisant baisser la rémunération des heures supplémentaires… sauf si un référendum est demandé par un syndicat représentant plus de 30% du personnel. Nos contrats de travail sont aujourd’hui à 200 heures mensuelles. Nous avons 152 heures à 100%, 36 heures à 125% et 14 heures à 150%. La loi travail aurait privé les salariés d’environ 150€ par mois : pour nous, c’est inacceptable ! Surtout que le taux horaire est en moyenne à 10€ de l’heure. Le risque de signature d’accord est selon nous plus important dans les TPE et PME, largement représentées sur notre secteur d’activité. Tous les salariés n’ont pas forcément les moyens de se défendre… »

 

Vous parlez de dumping social, à quel niveau ?

«  Il y a deux niveaux : le premier concerne les salariés détachés. L’entreprise les paiera toujours moins cher puisque les charges sont payées dans le pays du salarié et que la France a l’un des taux de charge les plus importants ; le deuxième concerne la possibilité de chantage à l’emploi. Avec les accords d’entreprise, les entreprises auront beau jeu de demander à leurs salariés de faire encore plus d’efforts pour accroître leur compétitivité par rapport à d’autres salariés afin de gagner plus de parts de marché et ‘sécuriser’ les emplois. Les salariés du même secteur vont se trouver en concurrence les uns avec les autres… Et derrière, cela peut aller loin. A terme, les conséquences peuvent être dramatiques. On sait par exemple que les retraites vont également baisser… » détaille Christian Nuzzo.

« Tout va se jouer lors des NAO et selon le nombre de salariés dans l’entreprise, les conditions de travail seront vraiment très différentes d’une entreprise à l’autre avec la Loi Travail, même si c’est déjà un peu le cas… » explique André Saliba. « Ainsi, si le chiffre d’affaires d’une entreprise de 300 salariés baisse pendant 4 trimestres, la rémunération des salariés pourra être diminuée, sur signature d’un seul syndicat… »

 

Et concernant les PSE ?

« L’employeur n’a plus qu’à faire une seule proposition de reclassement, les licenciements seront donc plus faciles » précise André Saliba. « C’est vrai que la Loi Travail va encore simplifier les possibilités de licenciements, mais les procédures ont été déjà allégées pour les entreprises depuis 2013. Au final, les évolutions de la Loi Travail ne devraient pas impacter sensiblement les PSE ».

 

Vous attendiez beaucoup du passage devant le Conseil Constitutionnel ?

« Oui. Nous pensions que l’inversion des normes ne passerait pas, or elle est passée. Nous sommes donc en attente des décrets d’application. Certaines modalités devraient être négociées ».

 

Compte tenu de l’ambiance actuelle, et de l’article 1 de la Loi Travail sentez-vous une pression sur le religieux ?

FO est un syndicat qui ne fait pas de politique et ne se mêle pas de religion. On fait attention, par exemple pour les repas de Noël, à avoir du choix qui permet à tous de se restaurer, mais on ne s’arrête pas plus que cela sur le sujet. TCRA est une entreprise de transport du public et en tant que telle, il n’est pas concevable qu’une personne affiche sa confession. Par exemple, sur 300 personnes, seules 2 personnes refusent de serrer la main aux femmes…

 

Et pour vous, le combat contre la Loi Travail continue ?

« Oui. Pour nous, la partie sur laquelle nous ne serons jamais d’accord avec le gouvernement c’est l’inversion des normes… »

 

Des actions prévues à la rentrée

Le retrait de la Loi Travail, demandé lors des quatre mois du bras de fer qui a opposé le gouvernement à l’intersyndicale n’a pas été obtenu. La mobilisation reste de mise pour demander à présent son retrait. Prochaine mobilisation prévue pour les mécontents de la Loi Travail, le 15 septembre.

 

Zoom sur TCRA

TCRA est une société du groupe Transdev, spécialisé dans la mobilité. Il comprend 83000 salariés dans 19 pays. Des filiales sont présentes dans toute la France, elles gèrent les réseaux urbains de transport de personnes. TCRA gère le réseau d’Avignon.

André Saliba explique que depuis un changement de direction, au sein de la TCRA, le dialogue social est ‘plutôt positif’ même s’il faut résister à certaines velléités de la direction, par exemple en termes de cycles de travail. « Pour avoir le roulement que l’on a aujourd’hui, nous avons fait une grève de 18 jours. Pour nous, c’est un sujet tabou et la direction le sait. Comme pour l’étalement des congés. Cependant, notre dernière grève date de 2009… » précise-t-il. « L’été, il y a un certain nombre de salariés employés en CDD. Les personnes reviennent en cours d’année, pour pallier aux absences : lors des congés maladie ou des vacances. Dans le lot, il y a une quinzaine de personnes qui sont ensuite recrutées, selon les départs, si elles donnent satisfaction ».

Et par rapport à l’exercice du droit de retrait, en cas d’agression ? « Chez TCRA, une procédure assez efficace a été mise en place. Nous mettons en place immédiatement une discussion, selon le niveau de l’agression, au sein de la ligne ou du réseau. Tout dépend si l’individu agresseur a été arrêté ou s’il passe en comparution immédiate. Pour l’entreprise, en termes de traitement des salariés, il s’agit d’une absence injustifiée. Cependant, quand nous arrêtons le réseau et qu’il y a une comparution immédiate, nous avons constaté que les juges en tiennent compte dans leurs décisions, preuve que nos actions sont assez efficaces… » précise André Saliba.

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