A-Roanne-le-mouvement-des-Gilets-jaunes-s-eparpilleAprès les manifestations partout en France le 17 novembre, le gouvernement est resté de marbre. Depuis, chaque samedi a été marqué par des rassemblements régionaux et parisiens et malgré l’intervention à la veille de Noël de la gendarmerie pour évacuer les ronds-points, le mouvement s’ancre.

Au lendemain de la manifestation du 17 novembre, la France vit au rythme des actions et interventions des gilets jaunes. Un climat de violence entre gilets jaunes et non gilets jaunes s’est développé. Localement, il y a eu des discours et des pancartes homophobes, sexistes, racistes, antisémites ; les esprits se sont échauffés : il y a eu des coups et des insultes échangés ; il y a eu des menaces. Les simples citoyens pris en otage se demandaient parfois de quel côté était la police et les gendarmes. Ceux-ci ont subi de multiples provocations et violences. Ainsi, lors des manifestations des différents samedis, il y a eu scènes qui relevaient de l’anarchie, de la casse, des magasins entièrement vandalisés ; il y a eu aussi une succession d’accidents mortels : à ce jour, 10 personnes ont perdu la vie. Alors que les manifestations des décennies précédentes s’arrêtaient au premier accident mortel, on voit ici que la détermination (ou l’entêtement ?) se prolonge.

Le monde politique a été totalement ébranlé par cette mobilisation en provenance des zones rurales et périurbaines délaissées. Mais qui sont les gilets jaunes ? On présente ce mouvement comme celui des ‘classes moyennes’ ; mais la classe moyenne existe-t-elle vraiment ? En réalité, ce terme rassemble des situations extrêmement disparates et le mouvement comporte des salariés et des retraités du public, du privé, des entrepreneurs et salariés. Ainsi, on y trouve des personnes que l’on n’a jamais encore rencontré auparavant dans des manifestations comme des professions indépendantes et des personnes ayant nécessité d’utiliser leur véhicule au quotidien sur des distances conséquentes. On peut donc plutôt conclure que les gilets jaunes sont au moins autant structurés par l’appartenance au monde rural et péri-urbain qu’à une catégorie socio-professionnelle. Ces citoyens ne réclament pas seulement la suppression de la fiscalité sur les carburants. Ils veulent aussi retrouver une place dans la société ; une place perdue. C’est la révolution des cheveux gris, d’une génération qui a subi trop de défaites au sein d’un jeu dont on ne lui avait pas forcément expliqué les règles mouvantes mais toujours défavorables à leur égard. C’est la génération qui a beaucoup travaillé et qui se retrouve à 40 ou 50 ans, face à elle-même, devant prendre son destin en main, seule au milieu du gué, sans nouvelle formation, sans droit, sans aide. Ce sont aussi ces jeunes retraités avec leurs enfants qui vivent encore à la maison, faute d’emploi ou d’un salaire suffisant pour louer un logement. Ce sont ces autoentrepreneurs qui pensaient goûter à l’indépendance, l’autonomie, la fierté de créer leur entreprise et qui se retrouvent acculés à tout accepter de la part de leurs clients : des horaires insupportables, des rémunérations de misère ; en moyenne, selon l’Insee, les autoentrepreneurs qui se consacrent à temps plein à leur petite entreprise ne perçoivent que 460 € par mois, un revenu très inférieur à celui des indépendants dits classiques. Et leur avenir ? Ils seront des retraités de misère…

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On l’aura tous remarqué, les Gilets Jaunes sont d’autant plus virulents qu’ils vivent loin des grandes métropoles. Ils participent au paiement des infrastructures du pays mais n’en profitent pas ; ils ne prennent que rarement le TGV ou l’avion, profitent très peu d’activités culturelles subventionnées par l’Etat, même si leurs enfants sont allés au lycée public, à l’université, sont partis faire des études à l’étranger via Erasmus ou Leonardo et s’ils pratiquent des activités dans des associations subventionnées. La voiture représente leur liberté d’aller et venir au quotidien et entre la limitation de vitesse à 80km/heure, le nouveau contrôle technique qui de fait, verra la sortie d’un grand nombre de véhicules de la circulation et la hausse de la taxe carbone ; ils ont décidé que trop c’est trop !

Jean-François Césarini, Député de la 1ère circonscription de Vaucluse (LREM) et fondateur de Terra Nova Vaucluse, avait, suite à des échanges avec le syndicat CFDT sur la CSG et les retraités modestes proposé un amendement pour une meilleure répartition de la CSG pour les retraités et l’avait déposé pour être étudié dans le cadre du Projet de Loi de de Financement de la Sécurité Sociale. Cet amendement avait été adopté par la commission des Affaires Sociales, contre l’avis du gouvernement. A l’origine de réflexions multiples sur les problèmes de cohésion des territoires, il intervenait dès le 9 novembre dans le Huffington Post : « Les inégalités territoriales sont de moins en moins acceptées par nos concitoyens. Une partie du pays a l’impression qu’on lui demande de s’adapter sans lui en laisser le temps ; s’adapter à la mondialisation, s’adapter aux transitions écologiques et numériques, s’adapter à un mode de vie métropolitain sans qu’on lui en donne les possibilités. Le sursaut des territoires ne viendra pourtant pas d’un modèle uniforme venant d’en haut, et bien trop souvent dicté par des métropoles. La révolution industrielle a provoqué un exode rural, qui est fini aujourd’hui. La révolution numérique et écologique nous oblige à penser une déconcentration humaine pour réduire les inégalités territoriales par une nouvelle étape de la décentralisation ».

Après avoir poursuivi toute la semaine leurs actions locales, au matin du samedi 24 novembre 2018, les gilets jaunes se sont donnés rendez-vous à Paris et dans toute la France pour un deuxième weekend de mobilisation. Un rassemblement tournant très souvent à la confrontation avec les forces de l’ordre. Voitures et engins de travaux en feu, vélos en libre-service arrachés, barricades montées, pavés jetés sur les forces de l’ordre… la Place de l’Etoile avec l’Arc de triomphe, a été le théâtre de débordements dont la violence n’avait jamais été vue depuis de nombreuses années le 1er décembre. La violence est issue de la convergence de différents mouvements extrémistes, mêlée à une radicalisation de certains participants au mouvement Gilet Jaune.

Après un comportement pour le moins attentiste, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures et les députés de la majorité ont lâché du lest dans le cadre des débats budgétaires : une valeur de 10 milliards a été avancée.

Ainsi, suivant la toute première revendication des Gilets Jaunes, la taxe carbone destinée à financer la transition écologique et qui devait être introduite au 1er janvier 2019 est annulée. Les conditions du contrôle technique automobile devaient devenir plus restrictives dès 2019. Le gouvernement s’engage finalement à reporter cette mesure. Le gel des prix de l’énergie fait partie des premières annonces du gouvernement. Édouard Philippe s’est dit prêt jeudi, devant les Sénateurs, à examiner des mesures qui permettraient d’augmenter les plus bas salaires sans trop dégrader la compétitivité des entreprises. Il a notamment annoncé une hausse du salaire minimum en janvier 2019 de 1,8%, soit l’évolution mécanique. En ajoutant à l’indexation, la baisse des cotisations sociales et la prime d’activité, Edouard Philippe évolue le total de la hausse à 3%. Au 1er janvier dernier, le Smic avait été revalorisé de 1,24%, à 9,88 euros bruts l’heure. Le Smic mensuel brut est de 1 498,47 euros. Si les entreprises mettent en place une prime de fin d’année de 1 000 euros pour leurs salariés, celle-ci sera défiscalisée, a annoncé le gouvernement. Un principe basé sur le volontariat du patronat. Les organisations patronales, préoccupées par la persistance de la crise à l’approche des fêtes de Noël, se sont déclarées prêtes à verser aux salariés ces primes que l’État s’engage à défiscaliser et exempter de cotisations sociales. La prime à la casse devrait être accordée cette année à près de 280 000 Français, qui remplacent leurs vieux véhicules polluants par des voitures (neuves ou d’occasion) moins émettrices de CO2. Devant le succès de cette prime, Édouard Philippe a annoncé une prolongation du dispositif qui devait se terminer fin 2019. Le seuil du nombre de voitures concernées a été relevé de 500 000 à 1 million sur le quinquennat. Ainsi, les automobilistes peuvent toucher 1 000 € (ou 2 000 € pour les non-imposables) s’ils se débarrassent d’un véhicule essence datant d’avant 1997 ou diesel d’avant 2001. En échange, ils doivent acheter une voiture diesel construite après 2011 ou un véhicule essence ou électrique portant la vignette Crit’Air 1 ou 2. La prime est augmentée et passe à 2 500 euros si l’automobiliste achète un véhicule électrique neuf ou hybride neuf. Les ménages non-imposables bénéficient de 2500 euros également pour l’achat de véhicules électriques ou hybrides d’occasion.
Le chèque énergie est le dispositif qui remplace les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité. Le gouvernement avait déjà prévu pour 2019 une hausse de son montant de 150 € en moyenne à 200 €. Edouard Philippe a annoncé un élargissement du périmètre de ce dispositif à deux millions de ménages supplémentaires. Suite aux consultations, le gouvernement a décidé de favoriser les petites cylindrées : la déduction des gros rouleurs va augmenter de 10 % pour les véhicules de 3 CV (Smart etc.) et de 5 % pour les 4 CV ( Fiat 500, etc.). La prime transport pourrait être versée aux salariés utilisant leur voiture pour aller travailler. Sur le principe, il s’agirait d’une prime transport versée par les entreprises et défiscalisée. Le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin a annoncé, ce vendredi dans un communiqué, la suppression des pénalités de 15 € minimum en cas de paiement des impôts par chèque.
Lorsqu’un contribuable ne paye pas ses impôts par un moyen prévu par la loi (par exemple un paiement par chèque pour un montant supérieur à 1 000 euros), il est prévu, en application d’une disposition adoptée dans la loi de finances pour 2016, qu’il reçoive une lettre de relance comportant une pénalité de 0,2 % avec un minimum de 15 euros, rappelle le communiqué. Ainsi, le ministre a demandé à l’administration fiscale de ne pas poursuivre les contribuables récemment concernés, à l’occasion du paiement de la taxe foncière. Ils n’auront pas à payer cette pénalité qui sera remise sans démarche de leur part.

Mouvement des gilets jaunes - Les manifestants mènent depuis leur arrivée ce matin une opération " péage gratuit " à la Gravelle en Mayenne. Cet après midi ils étaient entre 300 et 400 manifestants
Mouvement des gilets jaunes – Les manifestants mènent depuis leur arrivée ce matin une opération  » péage gratuit  » à la Gravelle en Mayenne. Cet après midi ils étaient entre 300 et 400 manifestants

Le contexte social s’est invité dans les débats du Parlement et des députés de tous bords ont réclamé des assouplissements budgétaires afin de répondre aux inquiétudes des Gilets jaunes. Depuis lundi, de nombreux amendements sont ainsi passés, parfois contre l’avis du gouvernement. Plusieurs niches sociales qui auraient dû disparaître ou être rabotées ont ainsi été préservées, pour un coût d’environ 200 millions d’euros. Des assouplissements ont été votés sur les exonérations concernant les secteurs de l’aide à domicile ou des associations employant des travailleurs en insertion. Les députés de la majorité ont également adopté un amendement du Sénat, voté contre l’avis du gouvernement, améliorant le régime d’exonération des saisonniers agricoles. Ces mesures ne répondent pas directement aux revendications des Gilets jaunes, mais, de fait, elles réduisent à la marge la pression fiscale. Et reviennent sur la première version du PFLSS, débattue avant la montée en puissance du mouvement citoyen.

Le temps du dialogue est arrivé. Une consultation citoyenne s’est mise en place et va durer jusqu’au 1er mars 2019. Un grand débat va être lancé. Au programme, quatre thèmes ont été définis : la transition écologique, la fiscalité, les services publics et la question du débat démocratique. La concertation aura lieu de façon décentralisée, à travers les mairies. L’objectif est avant tout de redonner la parole aux Français, en ce qui concerne leur vie quotidienne.

Des questions néanmoins subsistent concernant les propos et les comportements de certains Gilets Jaunes sur les ronds-points, lors des manifestations et les réseaux sociaux et sur la réalité d’un mouvement encore ‘apolitique’ ? Sur la caisse de résonnance apportée par les médias à ce mouvement, sans recul sur le passé des ‘représentants’ et porte-paroles…

Il va bien falloir aussi prendre en compte les conséquences économiques du mouvement. En cette forte période de consommation que représente la fin d’année, le manque à gagner pour les commerçants a été estimé entre 2,2 milliards d’euros selon l’Insee, à 4,4 milliards d’euros selon la Banque de France. Avant la période de Noël, le blocage des ronds-points a donné un sérieux coup de frein à l’activité économique, et aux commerces en particulier. Les plus touchés sont les petits commerçants qui ont dû tirer le rideau les samedis de décembre suite aux manifestations et violences. Le mouvement a également des conséquences sur les emplois puisque le ministère du Travail dénombre 41 000 salariés mis au chômage technique ou en activité partielle. La France, première destination touristique du monde risque aussi de pâtir des images violentes vues à l’étranger…

Justement, à l’étranger, les Gilets Jaunes ont semé leur mode de fonctionnement et leurs revendications… Ainsi, le mouvement connaît des répliques dans plusieurs pays. Ces révoltes s’inspirent directement des revendications et des modes d’action des gilets jaunes français. En effet, on retrouve les mêmes doléances à plusieurs milliers de kilomètres de la France : injustice sociale et fiscale, baisse du pouvoir d’achat, perte de confiance dans les institutions. En Israël, le samedi 25 décembre, une manifestation a eu lieu à Tel-Aviv et Jérusalem, avec des personnes portant des gilets jaunes. Elles protestaient contre l’augmentation prévue du prix de l’eau, de certains aliments ainsi que de l’électricité dans un pays où 20 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. En Egypte, à quelques semaines du 8e anniversaire du printemps Egyptien, la vente de gilets jaunes, devenus symbole de contestation a été interdite. Des mouvements similaires ont eu lieu en Tunisie, au Liban, au Burkina Faso, en Irak, en Serbie, en Espagne ou encore en Belgique. Vers une internationale de Gilets Jaunes ?!

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