Depuis quelques années, partout dans le monde, nous assistons à une fragilisation, voir un retour en arrière, des droits des femmes. Aux Etats-Unis, la Cour Suprême, plus haute instance du système judiciaire états-unien, est venue renverser, en 2022, l’arrêt « Roe v. Wade » de 1973 protégeant le droit à l’avortement au niveau fédéral. En d’autres termes, la cour suprême a de nouveau rendu possible pour un état d’interdire l’avortement.
La France n’est, hélas, pas en reste face à cette fragilisation.En effet, à l’échelle de l’état, il aura fallu plus de 2 ans de débat parlementaire pour aboutir à la promulgation le 2 aout 2021 d’une loi incomplète sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes.
Plus récemment encore, une proposition de loi constitutionnelle visant à intégrer le droit à recourir à l’interruption volontaire de grossesse dans les droits garantis par la constitution a été déposé le 7 octobre 2022. Plus d’un an après, alors que le droit à l’IVG faisait déjà parti du bloc de constitutionnalité depuis une décision du conseil constitutionnel du 15 janvier 1975, seule l’Assemblée nationale a voté le 30 janvier 2024 le texte. Le Sénat devant à son tour voter le texte à l’identique pour que la constitution soit modifiée.
Enfin, le 15 février 2024, le Sénat a écarté une proposition de loi visant à instaurer un congé spécial dit « menstruel », sous forme d’un arrêt de travail, pour les personnes ayant des menstruations incapacitantes alors même que l’Espagne un an plus tôt l’adoptait.
Cette tendance, sur le plan étatique, se répercute également dans le travail.
En effet, le 22 janvier 2024, le haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a sorti son 6ème état des lieux du sexisme en France.
Le constat est sans appel : 77% des personnes interrogées estiment qu’il existe une différence de traitement entre les femmes et les hommes dans le monde du travail, 24% des hommes interrogés estiment qu’il est normal qu’un homme soit mieux payé qu’une femme à poste équivalent et 36% estiment qu’il est normal de recruter un homme plutôt qu’une femme à compétences équivalentes (dont 45% ayant entre 25 et 34 ans) et enfin 5% des femmes interrogées ont été victime de propositions sexuelles contre une promotion ou une évolution professionnelle.
Alors face à ce constat qui est, n’ayons pas peur de le dire, alarmant, comment réagir ? Quels sont, en tant qu’élus, les leviers actionnables pour supprimer les inégalités entre les femmes et les hommes ? comment rendre plus sûr le monde de l’entreprise pour les femmes ?
La suppression des inégalités entre les femmes et les hommes : les mécanismes existants et comment aller plus loin
La négociation sur l’égalité professionnelle : premier dispositif mis en place par le législateur
Afin de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, la loi est venue instaurer des obligations de négocier sur l’égalité professionnelle c’est-à-dire sur l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ces négociations se font à deux niveaux : au niveau de la branche et au niveau de l’entreprise.
Au niveau de la branche, la négociation doit se faire tous les 3 ans et porte sur la rémunération et la classification des emplois.
Au niveau de l’entreprise, la négociation sur l’égalité professionnelle entre dans les négociations annuelles obligatoires et est à donc lieu tous les ans. La négociation porte sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération mais également sur les objectifs de progression en matière d’embauche, formation ou encore promotion professionnelle et qualification.
La négociation sur l’égalité professionnelle est la seule des négociations annuelles obligatoires où l’employeur a l’obligation, en cas de désaccord avec les organisations syndicales représentatives de l’entreprise, de mettre en place un plan d’action portant sur la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes.
Dans l’hypothèse où un employeur ne disposerait ni d’un accord sur l’égalité professionnelle ni d’un plan d’action visant à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes, le code du travail (article L2242-8) prévoit une pénalité équivalente à 1% des rémunérations soumises aux cotisations.
A noter que l’accord d’entreprise ou le plan d’action ne peut contenir que des mesures au moins équivalentes à celles prévues par la branche.
L’index de l’égalité : second dispositif mis en place par le législateur
Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, chaque année avant le 1er mars, l’employeur doit calculer et publier un indicateur relatif aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et les actions mises en œuvre pour les supprimer.
Le niveau de résultat est porté sur le site internet de l’entreprise s’il en existe et est porté par tout moyen à la connaissance des salariés de l’entreprise. Un contenu plus détaillé est également porté à la connaissance du ministère du travail.
A noter que si le résultat de l’index est inférieur à 75, un plan d’action renforcé doit être mis en place soit par le biais de la négociation soit par une décision unilatérale.
Si pendant 3 ans l’index reste en-dessous de 75, la DREETS est alors saisie. Une procédure d’enquête est alors lancée à l’issue de laquelle la DREETS peut décider, soit d’accorder une année supplémentaire à l’entreprise, soit de lui appliquer une pénalité de 1% des revenus d’activité pris en compte pour établir l’assiette des cotisations versées l’année précédente.
La BDESE : moyen de contrôle privilégié pour le CSE
On ne le dit assez, mais la BDESE est une vraie mine d’or d’information pour le CSE, notamment pour mettre l’employeur face à ses manquements en matière de lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes.
Aujourd’hui, alors que l’employeur a l’obligation de la mettre en place ET de la mettre à jour, beaucoup d’entreprises en sont encore dépourvues et les CSE se trouvent donc en manque d’informations vitales pour vérifier les écarts entre les femmes et les hommes ainsi que les mesures mises en place par l’employeur pour les supprimer.
En effet, apparait dans la BDESE les rémunérations par catégorie, par genre, tranche d’âge etc. Il doit également y apparaitre une version détaillée de l’index de l’égalité.
Ce qui est intéressant avec la BDESE, c’est qu’il ne s’agit pas uniquement d’une image de la situation actuelle de l’entreprise mais plutôt son évolution. En effet, il y est indiqué toutes les informations des 3 années précédentes mais également une projection pour les 3 années à venir. Cet ensemble permet donc de voir si l’employeur s’engage réellement dans la suppression des inégalités entre les femmes et les hommes mais surtout de voir si les mesures prises sont effectives et suffisantes.
A noter que ne pas donner accès à un membre du CSE ou à un délégué syndical constitue un délit d’entrave et l’employeur peut donc encourir des sanctions pénales et civiles.
De l’égalité à l’équité : aller plus loin par le biais d’accords d’entreprise
Si la finalité est la suppression des inégalités entre les femmes et les hommes, certaines mesures pouvant être jugées comme inégales par les hommes sont nécessaire du point de vue de l’équité.
En effet, pendant longtemps, la société a désavantagé la femme dans l’entreprise, soit en faisant porter sur elle la charge de l’éducation des enfants, soit en ne prenant pas en compte ses spécificités physiologiques.
Pour la charge des enfants, le législateur est intervenu en 2021 pour allonger le congé paternité. Ainsi, le congé paternité est passé de 11 jours à 28 jours (en comptant le congé de naissance) permettant une meilleure répartition de la charge mentale dans le couple à la suite de la naissance d’un enfant.
Si cela n’est pas encore suffisant car le congé parental est le plus souvent pris par la mère et non par le père, il s’agit là d’un début de rééquilibrage des charges.
Au niveau de l’entreprise, face à cette réalité désavantageuse pour la femme, plusieurs mesures peuvent être mises en place pour permettre aux femmes de concilier vie privée et vie professionnelle notamment par le biais d’aide à la garde d’enfant (le prix des crèches privées étant exorbitant et les publiques surchargées).
Pour ce qui est de la prise en compte des spécificités physiologiques, alors que le Sénat a refusé une proposition de loi visant à la création d’un congé menstruel, quelques entreprises en France ont déjà franchi le cap tout comme la commune de Villeneuve Tolosane depuis le 1er janvier 2024.
Toutes ces mesures mises en place par accord rendront plus équitables les relations de travail entre les femmes et les hommes et permettront à terme d’arriver à la suppression des inégalités entre les femmes et les hommes.
La protection des femmes dans l’entreprise : encore un long chemin à parcourir pour garantir leurs sécurités
La lutte contre les violences sexistes et sexuelles
Aujourd’hui en France, on estime à plus de 20% le nombre de femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Alors comment lutter contre ce fléau de l’entreprise lorsque l’on est élu ?
Lorsque l’on parle de violences sexistes et sexuelles dans l’entreprise on parle surtout de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes.
Le harcèlement sexuel est une infraction pénale que l’on retrouve à la fois dans le code du travail (article L1153-1) et dans le code pénal (article 222-33) et est défini comme étant des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés ou encore une pression grave dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle. Le harcèlement sexuel est puni de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
Les agissements sexistes, quant à eux, sont définis par le code du travail (article L1142-2-1) comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Ils peuvent caractériser l’infraction d’outrage sexiste (article R625-8-1 du code pénal) qui est puni par une contravention de 5ème classe.
Si on estime à 20% des femmes actives le nombre de victime féminine, force est de constater que ce sujet reste très tabou dans l’entreprise, souvent encore trop passé sous silence et peu de victime savent s’orienter pour obtenir de l’aide.
En effet, chez Solucia SPJ par exemple, le nombre d’assurés ouvrant un dossier pour se protéger face à des violences sexistes et sexuelles n’atteint pas 3% des dossiers sur les garanties sociale et pénale. Ce résultat montre bien le côté encore tabou du sujet mais aussi le manque d’information.
Dans ces situations, les élus sont et doivent être les premiers interlocuteurs de la victime pour pouvoir la guider. Cependant, pour être un bon interlocuteur, il faut être bien formé mais aussi et avant tout être bien accompagné.
Aujourd’hui, le code du travail prévoit un référent harcèlement au sein du CSE. C’est ce référent qui va suivre une formation sur le harcèlement.
Parce que tout élu peut se retrouver face à une personne victime de violences sexistes et sexuelles, la première chose à faire, est de mettre en place cette formation pour l’ensemble des élus afin que tout le monde soit bien formé sur le sujet.
La seconde chose à faire est de se renseigner sur les différentes procédures pouvant être déclenchées dans l’entreprise (enquête, droit d’alerte, saisine de l’inspection du travail) pour pouvoir accompagner au mieux la victime.
Enfin, et parce que c’est aussi le rôle du CSE, accompagner l’entreprise dans la mise en place de procédures visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles par le biais de sensibilisation à destination de tous les collaborateurs de l’entreprise, de procédures d’enquête, d’amendements du règlement intérieur de l’entreprise mais aussi en se rendant visible pour que les potentielles victimes identifient le CSE comme interlocuteur et rempart face à ces situations.
En conclusion, dans les années à venir, le CSE jouera un rôle primordial dans la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes en challengeant et contrôlant les actions de l’employeur mais devra devenir également un acteur prédominant dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles pour que les victimes ne craignent plus de parler et que ces agissements disparaissent du monde de l’entreprise.
Article rédigé par Kevin Lelay – Solucia SPJ – www.soluciaspj.fr