La loi Climat et Résilience de 2021 prévoit un contrôle des CSE sur les conséquences environnementales des activités de l’entreprise. Une prise en compte, par certains CSE, du devoir de vigilance, touchant trois aspects : les droits humains au travail, l’environnement et la santé et sécurité au travail, n’est pas à exclure pour rendre un avis. Explications avec Apolline Boudjellal docteure en droit spécialisée sur le devoir de vigilance qui sera sans nul doute, au cœur des enjeux sociétaux dans les années à venir.
Un peu de contexte…
Ces dernières années, plusieurs États ont adopté des législations devant permettre de mettre en œuvre les principes des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et ceux de l‘Organisation de coopération et de développement économique. La responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui participe de cette évolution, désigne un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d’une démarche volontaire progressivement complétée par un cadre légal et réglementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l’évaluation de leur efficacité.
En s’intéressant aux chaînes d’approvisionnement mondiales, ces législations sont nécessairement dotées d’effets extraterritoriaux compatibles avec une certaine interprétation de l’obligation de l’État de faire respecter par les tiers les droits de l’homme, aucune règle ne prohibant à l’État d’édicter des règles à portée extraterritoriale régissant les activités d’entreprises présentes sur son territoire.
En France, la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance a pour objectif de renforcer les obligations des sociétés françaises en matière de prévention des atteintes graves aux droits humains, à l’environnement, à la santé et à la sécurité des personnes afin d’éviter la survenance de dommages s’y rapportant. La loi instaure une obligation de vigilance à l’égard des sociétés-mères avec un périmètre étendu qui inclut non seulement les activités de la société mère, mais également celles de ses filiales et celles de ses sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie.
Du côté européen, les députés ont adopté des règles en matière de droits humains et d’environnement au travers d’une directive publiée le 5 juillet 2024 et entrée en vigueur le 26 juillet 2024 (directive 2024/1760 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859, dite ‘directive CS3D’). Ces règles sont fondées sur 3 principes majeurs :
- Les règles concernent les entreprises de l’UE et de pays tiers ainsi que les sociétés-mères réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros ;
- Les entreprises doivent élaborer un plan de transition conforme à l’Accord de Paris ;
- Elles seront responsables des dommages et pourront être condamnées à des amendes en cas de non-respect des règles.
Ces entreprises devront intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques, réaliser les investissements nécessaires, obtenir des garanties contractuelles de la part de leurs partenaires, améliorer leur plan de gestion ou apporter leur soutien aux petites et moyennes entreprises partenaires afin de s’assurer qu’elles se conforment aux nouvelles obligations. Les entreprises devront également adopter un plan de transition pour rendre leur modèle économique compatible avec la limite de 1,5 °C de réchauffement climatique fixée par l’Accord de Paris.
Les nouvelles règles établies par la directive CS3D (hormis les obligations en matière de communication) s’appliqueront progressivement aux entreprises européennes (et aux entreprises non européennes atteignant les mêmes seuils de chiffre d’affaires dans l’UE) :
- à partir de 2027 pour les entreprises de plus de 5 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 1 500 millions d’euros;
- à partir de 2028 pour les entreprises de plus de 3 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 900 millions d’euros;
- à partir de 2029 pour toutes les autres entreprises relevant du champ d’application de la directive (y compris celles de plus de 1 000 salariés et un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros).
La directive CS3D sera transposée au plus tard le 26 juillet 2026 dans la législation interne et modifiera en conséquence la loi sur le devoir de vigilance actuellement en vigueur.
Pour l’instant, seuls les grands CSE sont concernés…
Comment les CSE peuvent-ils s’approprier ce sujet ?
Les nouvelles lois confèrent désormais une véritable légitimité aux CSE, leur donnant un droit de regard sur les conséquences des activités des entreprises et un droit d’alerte environnemental. Les CSE jouent un rôle central dans l’entreprise, en tant que parties prenantes, et c’est grâce à eux que des actions en justice peuvent être entreprises. De plus, un levier contentieux sur le devoir de vigilance émerge, avec des exemples concrets comme la condamnation récente de La Poste pour des activités de sous-traitance. Les entreprises déployant une chaîne de sous-traitance à l’international et disposant d’un réseau de filiales sont concernées tous secteurs confondus d’après l’état du contentieux actuel.
Ces extensions de l’entreprise représentent de possibles foyers d’atteintes aux droits des travailleurs, à ceux des populations locales et à la biodiversité. Les risques liés par exemple au travail forcé, aux discriminations contre les femmes, à l’expropriation de terres, aux droits des populations autochtones et aux atteintes aux libertés syndicales sont importants. Ainsi, les ONG, les associations et les syndicats européens s’associent pour défendre, entre autres, les droits des travailleurs étrangers, permettant aux victimes de demander réparation aux juges français.
L’un des objectifs est que les parties prenantes internes et externes puissent mettre en demeure les entreprises de publier leurs plans de vigilance annuellement, afin d’éviter la ‘RSE marketing’.
Les CSE peuvent donc dès maintenant commencer à réfléchir aux enjeux et aux conséquences des activités de leur entreprise. Pour ce faire, ils doivent s’informer et se former auprès de spécialistes.
Apolline Boudjellal, formations et accompagnement
Apolline Boudjellal a rédigé une thèse sur la responsabilité de l’entreprise étendue au prisme de la loi française relative au devoir de vigilance et à son effectivité (incluant des comparaisons avec la loi anticorruption et la proposition de directive européenne dite CS3D), après une première partie de carrière plutôt centrée sur les ressources humaines.
« Le devoir de vigilance français a été institué par une loi pionnière et ambitieuse, considérée comme exemplaire et ayant inspiré le législateur européen », explique-t-elle.
Experte du devoir de vigilance auprès des parties prenantes telles que les entreprises, la société civile, les CSE et les syndicats, elle est à même de leur apporter une formation dédiée et d’animer des séminaires sur l’actualité de cette thématique. Elle propose aussi un accompagnement pour approfondir leurs connaissances juridiques de la RSE contraignante, du concept d’entreprise étendue, des informations de durabilité et de la notion de plan de prévention/vigilance.
En outre, elle délivre des formations pour les référents environnementaux, soulignant l’importance de la co-construction des plans de vigilance avec les CSE et le rôle crucial des lanceurs d’alerte dans ce processus. Par sa thèse et son expertise, Apolline Boudjellal contribue significativement à l’avancée des droits humains et de l’environnement dans le monde de l’entreprise étendue.
Infos
Apolline BOUDJELLAL | LinkedIn
T.: 06 13 54 62 78